Appartement de Jeremiah et Michael - Grove Street

En sortant de l'institut, Michael ne s'était pas rendu chez lui directement. Bien qu'il ait tout fait pour ne pas montrer son coup de blues à ses camarades de l'Institut, son vague à l'âme n'était toujours pas disparu quand il mit le pied à l'extérieur. En fait, il lui sembla que son malaise était resté à la porte et lui était ressauté dessus dès qu'il mit le pied dehors. Il avait besoin de parler, de se faire conseiller. Il aurait aimé chercher du réconfort chez Grégoire ou encore du raisonnement chez son colocataire, mais n'avait pas envie de se confronter à l'un ni à l'autre. Sans trop savoir pourquoi, il se dirigea plutôt vers son rival de coeur et d'amitié. Le seul qui était à la fois aussi proche de Miah et Grégoire que lui, et assez gentil pour ne pas lui donner de mauvais conseils exprès.

Bon, il faut bien avouer que Jason eut l'air particulièrement surpris de trouver un Michael dépité devant sa porte, en début de soirée. La surprise n'en fut pas moindre lorsque l'Autrichien lui présenta le but de sa visite et laissa débouler ses inquiétudes, ses lassitudes et ses autres embêtements. Ils convinrent finalement que la meilleure solution pour Michael était probablement de poursuivre son bout de chemin et de quitter New York pour continuer son pèlerinage auprès des autres anciens de l'institut, s'il parvenait toutefois à les retrouver. Il promit même à Jason de l'aider à retrouver Luther.

Michael entra chez lui sans cogner à la porte de Jeremiah, pour le saluer, contrairement à son habitude. Il commença aussitôt à préparer son sac pour partir le plus tôt possible le lendemain matin, après avoir fait une petite annonce et écrit quelques courriels pour trouver preneur de sa partie de bail à l'appartement.

Michael aurait pu tout aussi bien frapper à la porte de son colocataire qu'il n'aurait pas eu de réponses. Déjà parce que Jeremiah n'était pas un pro de la communication et que c'était justement lorsqu'il aurait fallu parler qu'il se repliait sur lui-même. Ensuite, parce qu'il n'était pas là. Ce qui était encore une meilleure excuse. Kalalli était déjà parti quand il était arrivé à la fondation et foutu pour foutu, pas décidé à rentrer, il avait engouffré petit gâteau sur petit gâteau en écoutant Sophie lui parlait de ses vernis à ongles.

Il débarqua donc au pied de son immeuble l'esprit un peu plus serein que lorsqu'il avait quitté les lieux. Quoique serein fut un grand mot, on parlait de Jeremiah et il s'était fait un peu bousculé quelques heures plus tôt, disons donc simplement qu'il était moins hérissé. Escaladant les marches d'un pas morne, le jeune homme fit une pause devant la porte, cherchant ses clés. Avant de se rappeler qu'il les avait laissé à Michael. Damned.

"Michael ? T'es là ?" Interrogea-t-il en soupirant, après avoir cogné contre le battant désespérément clôt.

Lançant tantôt un gilet dans le sac, tantôt un bibelot sur son lit, Michael triait ses affaires aussi vite que possible. Il était temps de partir pendant que sa volonté était toute entière, avant que la vapeur n'ait recondensée. Bref, pendant qu'il bouillait encore contre ceux qui s'amusaient à se détester. Dictionnaire français : au lit. Atlas de l'Amérique du Nord : dans le sac. Cartes postales non complétées : également dans le sac. Guide touristique de la ville : sur le lit. Et ainsi de suite.

Quelqu'un cogna à la porte. Michael soupira : qui pouvait bien venir les déranger à cette heure. Il ne s'interrompit toutefois pas immédiatement, ne prenant conscience que son colocataire était un asocial émérite qu'au bout de quelques secondes. Secondes que ledit colocataire mit à profit pour gémir devant la porte. Nouveau soupir, hybridé d'un grognement. Comment Harnolds avait-il bien pu s'enfermer à l'extérieur? Ne s'apercevant pas de l'ironie du questionnement, Michael alla déverrouiller la porte sans un mot, la laissa close et retourna à sa chambre où son classement n'avait rien de l'habituelle méthodologie soignée du Germain.

Ce quartier lui semblait étrangement familier. C'est là que quelques heures plus tôt, il traînait au sol, s'était battu avec l'un de ses anciens coéquipiers de l'Institut et était reparti bras-dessus bras-dessous avec deux éphèbes dont l'un lui avait mis une main aux fesses dès lors que Michael n'était plus en vue.

Après avoir rabroué Sergio de manière plus que radicale, il avait longtemps discuté avec Tim qui, toujours de bon conseil, lui avait dit de mettre un terme à cette situation complètement ridicule. Il avait raison: qu'est-ce qui l'avait empêcher de le faire depuis lors ? La peur d'affronter le germain ? La peur de ne pas pouvoir aller au bout de sa phrase ? Sûrement un peu tout ça, mais avant tout la peur de tomber une nouvelle fois sur Jeremiah, qui semblait voir en lui quelqu'un de néfaste et de mauvais.

Grégoire était décidé à ce que tout cela cesse. Et il était venu pour ça. La tête basse, au coin de la rue, il tourna en direction de l'appartement des deux amis.

Ça se trouve, c'est imbécile de Micha' n'était même pas rentré, gardant ses clés en otage. Pire, il était peut-être à cette seconde précise chez l'abruti congénital qui lui servait d'ex, en train de se rabibocher ! Recommençant à se monter la tête tout seul devant la porte (la paranoïa, y a que ça de vrai), le jeune homme fut interrompu dans son fulminage intensif par le bruit du verrou de la porte. Ah. Donc il était là en fait. Et ouvrir en plus, c'était trop dur ?? C'était quand même à cause de lui qu'il était bloqué là !

Avec un nouveau soupir grognon, le geek poussa la porte qui se referma en claquant derrière lui. Michael disparaissait dans sa chambre sans lui adresser un regard. Alors ça, c'était la meilleure, c'est lui qui s'était fait agressé ici ! N'ayant pas de veste à balancer avec mauvaise humeur et son ordinateur dans le sac (qu'il n'aurait donc pas laissé tomber, même pour exprimer sa mauvaise humeur), il rejoignit la cuisine d'un pas lourd, ignorant ostensiblement le germain. Lui aussi, il pouvait faire la gueule. Il avait même surement plus d'expérience en la chose que Michael. Pendant quelques minutes, le jeune homme s'agita dans la cuisine puis le bruit de la cafetière se fit entendre. Quand il apparut dans l'encadrement de la porte de son colocataire, c'était la tasse à la main et son visage fermé des mauvais jours. Fermé certes, mais assez rapidement, légèrement interloqué également. Jeremiah haussa un sourcil en considérant le bordel et la valise, et se trouva donc un peu obligé de parler :

"Qu'est-ce que tu fous ? Tu pars en vacances ?"

Le temps que Jeremiah avait pris à constater que son colocataire ne lui ouvrirait pas fut bien mit à profit par ledit colocataire, qui était de nouveau dans sa chambre, et repoussa la porte pour la fermer lorsqu'il entendit le soupir du geek. Puisque M. Harnolds faisait son vacarme -du point de vue de Michael à tout le moins-, l'Autrichien alluma son lecteur de musique et monta le volume pour enterrer le bruit. C'était une chanson de The basketballs, groupe au style un peu rétro qui avait le mérite de savoir remonter le moral. Michael soupira. C'était bien sa veine!

Dos à la porte qu'il était, il sentit -ou plus exactement entendit- la présence de Jeremiah dans l'ouverture plus qu'autre chose. Il voulut faire comme si de rien n'était, mais en même temps, il détestait avoir la sensation d'être observé. Il tordit ses lèvres en une grimace que personne ne pourrait voir -mais qui aurait certainement fait ricaner Jeremiah- et continua de ranger ses affaires. Le plan, aussi diabolique que ce soit, était de se montrer assez indifférent pour que Jeremiah décide de le laisser seul. Mais le colocataire ne semblait pas être au courant, puisqu'il adressa la parole au germanophone, qui leva les yeux au ciel et serra la mâchoire avant de répondre.

-Je pars, mais pas en wacances. J'en ai marre d'être ici. J'aime pas la ville, j'en ai marre.

C'était une excellente argumentation, mais peut-être que Jeremiah ne s'en rendrait pas compte, confus que Michael était.

Grégoire avait traîné sa carcasse jusqu’au perron des deux colocataires lorsque son téléphone sonna. Un mail. De Jason. Le visage du français se crispa. Il ne comprenait pas ce qu’il venait de lire. A la deuxième lecture, la tournure des évènements semblaient nettement plus clair pour le jeune homme et sa démarche n’en était que renforcée.

Leur histoire avait été courte, il est vrai. Mais cette journée, aussi courte soit-elle, avait troublé la vie du garçon plus que de raison et lui avait donné un goût depuis l’instant où Michael avait décidé de partir. Grégoire ne s’en était jamais vraiment remis. Et ce n’est pas sa visite surprise à Innsbruck l’été dernier qui changea la donne vu que Grégoire n’avait pas osé aller plus loin que la rue où l’autrichien était supposé vivre. Il s’approcha de la porte et frappa deux coups secs mais sonore sur la dernière cloison qui le séparait encore de Michael.

Dans quel état allait-il le trouver. La lèvre pincée, Grégoire ressorti son téléphone pour être sûr qu’il avait bien lu l’incroyable mail de son collègue. C’était bien ça. En caractère informatique, il était écrit : « Michaël quitte la ville. Apparemment il en a assez. Tu devrais lui laisser de l’air. Passe me voir si tu veux, je suis là pour toi, tu sais… »

Les yeux du geek s'écarquillèrent et il en oublia même la gorgée qu'il était en train de boire, écartant lentement la tasse de ses lèvres. Comment ça, marre ? C'était quoi cette histoire, quelle mouche avait piqué l'autrichien ?? Jeremiah resta encore bugué un instant mais il avait beau ne pas être toujours très adapté à son environnement extérieur, il n'était pas complétement stupide.

"Nan mais... T'es pas bien ou quoi ? C'est moi ou c'est la ville ton problème ??"

Et voilà, il suffisait qu'il se prenne la tête avec son précieux Grégoire et monsieur mettait les voiles ! Le regard sombre, Jeremiah serra les machoires, les poings crispés sur sa tasse et il fusilla la porte d'entrée du regard en entendant les coups frappés. Un dernier coup d'oeil à Michael qui refusait de se tourner vers lui et le geek se dirigea à grand pas vers la porte qu'il ouvrit de sa main libre... pour la refermer aussitôt en voyant qui se tenait derrière. Franchement, c'était pas le moment, biceps de moucheron ou pas, s'il voyait cette tronche encore une fois aujourd'hui, il allait l'étrangler, c'est sûr !

Les sourcils froncés, l'expression faciale déformée dans une de ses étranges mimiques habituelles, Michael répondit à Jeremiah à barrages abattus. Aussi bien se vider le coeur.

-J'en ai mare de cette sale ville malpropre. Et peut-être un peu de toi, oui, et de Gr...

Deux coups secs à la porte vinrent l'interrompre. Pouvait-ce être Grégoire, en parlant du loup? Avait-il attirer son malheur sur lui-même? Interloqué, Michael bafouilla inutilement :

-T'peux aller répondre s'teup'?

C'est alors que ca le frappa au visage, comme une gifle. Jeremiah et Grégoire avaient beaucoup trop influencé Michael pour qu'il les remercie à grand coups d'insultes. Et pas seulement au niveau du langage. Il en avait marre de leur stupide querelle d'enfants, mais il ne pouvait pas être méchant pour autant. Il n'avait pas le droit. Il entendit son colocataire ouvrir la porte et se leva. Il l'entendit la refermer et sortit de sa chambre pour s'excuser.

-Miah, j'pensais pas ce que j'ai dit tu sais. T'es mon meilleur ami et... c'est qui?

Le bostonais avait refermer la porte au visage de leur visiteur? En d'autres circonstances, Michael aurait certainement été hilare de ses mauvaises manières, mais pour l'heure il traversa la pièce à grandes enjambées et rouvrit la porte à Grégoire.

-Entre, il faut que je vous parle.

Impassible devant la porte qui souffrait, Grégoire se mordit l'intérieur de la joue afin de garder sa contenance. A aucun moment il n'avait pu penser que Jeremiah se trouverait derrière celle-ci: il n'avait même pas pensé à lui, à vrai dire. Son visage resta figé, de marbre face à celui qui lui avait fait perdre les plombs il y a quelques heures.

Il n'eut pas le temps de réfléchir à ce qu'il aurait pu dire pour essayer d'excuser sa conduite quelque peu excessive que la porte lui fit refermée au visage. Dans un mouvement de recul, Grégoire écarquilla grand les yeux. *Quel con*, pensa t-il. Alors que lui était prêt à mettre de l'eau dans son vin et faire un effort pour accepter d'échanger quelques mots, Jeremiah semblait aussi rancunier qu'asocial.

Fallait-il refrapper à la porte ? Michaël était-il bien là ?

Ces questions tournaient dans sa tête lorsque l'autrichien ouvrit la porte et l'invita presque aussitôt à entrer. Naviguant entre soulagement de voir son ami présent et angoisse de devoir lui dire ce qu'il avait prévu, Grégoire n'était pas fier. Il ne réagit pas à l'invitation de germanophone et resta fig sur le perron.

"J'ai quelque chose à te dire..." entama t-il d'une voix presque inaudible et tremblante. Ses yeux étaient plantés dans ses baskets, s'interdisant le contact avec Michael. Il avait eut le courage d'aller jusque là, de frapper à sa porte donc il ne laisserait pas l'autrichien commencer et le faire changer d'avis. Tim lui avait dit: une décision devait être prise et rien ne devait l'empêcher d'aller au bout. "S'il te plaît..." dit-il en relevant les yeux rougis par les larmes qu'il tentait de contenir.

Michael se décida enfin à cracher le morceau et Jeremiah se félicita. Depuis la fermeture de l'Institut il y a quelques années, il avait décidé qu'il ne se laisserait plus surprendre dans un tel état de vulnérabilité et avait cultivé le fait que, lorsqu'il arborait son visage fermé des mauvais jours, on ne lisait pas en lui comme un livre ouvert. Contrairement à certains autrichiens de sa connaissance. S'il était blessé donc, il ne laissa en tout cas rien transparaître de plus que son mauvais caractère habituel. A peine détourna-t-il les yeux un instant, et encore, avec l'excuse de l’intrus derrière leur porte d'entrée.

L'autrichien se rapprochait pour rouvrir et comme un aimant opposé, Jeremiah s'éloigna, retournant vers la cuisine en haussant les épaules, les dents serrées. Meilleur ami tu parles, à la première anicroche, il s'envolait le Micha' ! Preuve en était le sac dans sa chambre. Sa tasse de café était encore presque pleine mais s'occupait de ça lui évitait de regarder les deux ex-amoureux qui essayaient de communiquer dans le couloir et il la remplit à ras bord en s'accoudant au plan de travail. Il aurait adoré disparaître pour aller bouder dans sa chambre devant un jeu mais après trois années à Boston, Joanna avait fini par réussir à lui apprendre que réagir comme un gosse à la moindre contrariété ne faisait pas disparaître les problèmes. Michael avait apparemment besoin de leur parler à tous les deux et il attendit un peu mais sa patience n'était pas vraiment légendaire.

"Qu'est-ce que tu veux, Micha' ?"

Ce que Grégoire voulait, 1) il s'en fichait et 2) ça ne le concernait apparemment pas.

Alors que, d'un côté, Grégoire refusait manifestement d'entrer dans l'appartement, de l'autre côté Jeremiah fuyait vers la cuisine. Il écouta la piteuse requête de Grégoire en ressentant un pincement dans le coeur. Il était si mignon.

-Entre, que je te dis, on parlera mieux.

Il le tira avec une délicatesse modérée à l'intérieur et se tourna à l'interrogation de Jeremiah. Son attitude failli arracher un sourire à Michael, qui trouvait toujours son colocataire aussi naturellement drôle. Comment faisait-il pour être à la fois aussi attachant et grognon?

-Les invités d'abord, voyons, il faut être poli! répondit le grimpeur au geek en se tournant vers le français d'un air qui l'invitait clairement à dire ce qu'il avait en tête.

La porte ouverte sur cet appartement qu'il découvrait, Grégoire se sentait comme légèrement de trop. Le geek ne semblait pas porter un quelconque intérêt à sa présence et souhaitait continuer sa conversation l'air de rien. Désolé mais le français y était et comptait bien y rester. Après un coup d'oeil rapide vers l'américain, il reporta son attention sur l'autrichien qui l'invita une nouvelle fois à entrer, lui pressant le pas en le tirant vers l'intérieur.

Son corps se raidit afin d'empêcher Michaël de le faire entrer. Il n'était pas question qu'il s'expose devant Jeremiah. Hors de question qu'il puisse parler librement devant lui.

« Je préfère pas rentrer. Mais viens toi, ça sera pas long. Promis » demanda le français, l'air grave.

Il avait inversé la traction et c'est lui qui tentait d'amener l'autrichien à sortir de son appartement. Même s'il n'était pas loin, la portée psychologique de Jeremiah serait forcément moindre à l'extérieur.

Ridicule. Depuis la cuisine et le plan de travail sur lequel il s'était assis, Jeremiah avait une bonne vue sur le couloir. Les deux garçons tirant chacun d'un côté pour aller dans la direction qui les intéressait donnaient vraiment un tableau saugrenu. Il plongea dans sa tasse pour cacher un sourire sardonique : en fait, il appréciait assez que Greg ne veuille pas aller plus avant sur son territoire. Ça lui redonnait un peu d'aplomb après la scène de l'après-midi où il n'avait clairement pas eu le dessus. Enfin, ils avaient au moins l'air d'accord sur une chose : c'était l’intrus qui viderait son sac en premier et le geek haussa les épaules, les laissant comploter dans leur coin pendant qu'il buvait son café. Non il n'était pas laissé de côté, il choisissait de rester de côté, nuance !

Michael lança un dernier regard en direction d'un Jeremiah victorieux, comme pour lui dire qu'il n'en avait pas fini avec lui, soupira un bon coup et se prêta au jeu des deux mutants en suivant l'aérokinésiste sur le perron. Il haussa un sourcil : qu'est-ce qui pouvait mieux se dire ici qu'à l'intérieur du chaleureux appartement americano-autrichien?

-Raconte! Mais sache que je te demanderai tout de même de rentrer ensuite. Je veux vous parler à tous les deux! fit-il en appuyant bien les derniers mots.

L'Autrichien joignit les mains devant lui et prêta oreille au Français, dans une attitude d'écoute qui ne laissait pas trop transparaitre son exaspération.

La tête basse, Grégoire ne savait par où commencer. Il releva la tête, les yeux brillants.

"Je suis désolé, je..."

Le français en un mouvement brusque et improvisé colla ses lèvres contre celles de l'autrichien et l'embrassa en lui passant une main derrière la tête.

Jeremiah répondit au regard de son colocataire par un sourire parfaitement innocent, du moins s'il n'avait pas été aussi tordu. Les deux autres s'étaient encore éloignés et il ne les voyait plus. Malgré la colère qu'il ressentait envers Grégoire, il était curieux de savoir ce qui se tramait, d'autant plus qu'il n'entendait plus rien. Peste soit de la curiosité et des pouvoirs qui permettaient de l'assouvir, il aurait préféré ne pas voir ça d'aussi près ! Se déconnectant bien vite de sa cible, le geek se plongea dans sa tasse avec un air à la fois morose et fermé de mauvais augure.

Michael regardait Grégoire d'un oeil sévère, attendant des explications ou des excuses en lien avec ce qui s'était passé plus tôt. Il en eut pour son argent, avec une réponse à ce qui s'était passé bien plus tôt. Grégoire avait placé sa bouche contre celle de Michael et lui soutenait la tête, comme s'il avait deviné que l'Autrichien condamnerait ce geste. Michael eut effectivement une brève et faible tentative pour ce déprendre du piège, mais la vague d'émotions qui jaillit en lui le força toutefois à fermer les yeux et porter ses mains sur Grégoire pour l'enlacer quelques secondes. La trêve fut aussi douce que courte, Michael y mettant fin au bout de quelques secondes. Il refoula ses interrogations dans un coin de son esprit : "Qu'est-ce que cela voulait dire? Grégoire se moquait-il de lui? Qu'était-il allé faire avec son alter ego d'Europe de l'Est, Sergio?"

-Ce que je voulais vous demander, à Jeremiah et toi, c'était de faire la paix. S'il-vous-plaît

Le Germanophone ouvrit la porte et alla se placer à l'intérieur du hall, tenant la porte ouverte comme une invitation à son ancien amoureux d'entrer à son tour et d'accepter de parler à Miah.

Le baiser échangé fut bref et intense. Assez grand pour que Grégoire se rende compte si le choix qu'il avait fait était le bon. Michael ne voulut pas laisser leur laisser l'occasion de s'épancher quelques instants et coupa court à l'embrassade.

Les yeux interrogateurs ne firent pas fléchir le français qui était plongé dans les yeux de l'autrichien, cherchant des réponses.

Ce dernier avait pourtant quelque chose en tête: rabibocher les deux loustics qui s'étaient battus, un peu plus tôt. Grégoire avait toujours de la rancoeur envers celui qui avait fait capoté sa relation avec Michael mais malgré cela, il savait que son attitude était déplacé et disproportionnée. Mais comment réagir ? Il n'allait tout de même pas lui demander pardons ou formuler quelque excuse qui pourrait, une fois de plus, le mettre en situation d'infériorité par rapport à l'américain. Il n'en serais que trop fier. Autant montrer son meilleur côté et laisser le mauvais rôle à celui qui semblait se cacher dans sa tasse de café.

Grégoire entra et aperçu le garçon qui lui avait fermé la porte au nez quelques instants plus tôt. Il entra, regarda autour de lui discrètement et fit les quelques pas qui le séparait de Jeremiah. Il lui tendit la main, le visage toujours aussi grave et sombre, sans laisser le moindre doute sur la réelle motivation de ce geste: faire plaisir à Michael et tenter par ce biais d'avoir plus de temps avec lui.

La balle n'était plus dans son camp.

Y en avait qui croyait vraiment au père noël. Entendant enfin la voix de Michael, signe que les deux amoureux avaient arrêté leurs écœurantes papouilles, Jeremiah leva les yeux au ciel. Faire la paix, et puis quoi encore ! Toutou docile, ou plutôt toutou calculateur qui n'attendait qu'une chose, c'était d'aller s'enfermer dans une chambre avec l'autrichien, Grégoire vint se planter devant lui, la main tendue. En tout cas, le plan du français avait réussi, c'était le geek qui allait montrer ses (très nombreux) mauvais côtés, définitivement pas prêt à faire des concessions.

"Bah voyons ! Qu'est-ce que tu ferais pas pour tirer ton coup hein ?"

Que son agressive franchise lui donne une carrément plus mauvaise image que le calme apparent de Grégoire lui passait complétement au dessus de la tête. Une chose était sûre, ça ne serait jamais à lui qu'on confierait un boulot d'ambassadeur ou de diplomate. Se rendant compte une seconde après qu'il avait peut-être été un peu loin, surtout devant Michael, le jeune homme se tourna vers lui, continuant à ignorer la main de Grégoire.

"Il me déteste et c'est réciproque. Tu crois vraiment que se serrer la pince changera quelque chose ? Au mieux, je peux te promettre de pas lui adresser la parole."

Tfaçon j'ai rien à lui dire, c'est un connard, aurait-il pu ajouter, mais il préféra se retenir pour ne pas se mettre Michael plus à dos que ce devait déjà être le cas.

Voilà, les choses rentraient à présent dans l'ordre! Grégoire allait s'excuser et Miah également. Déjà, le Français tendait la main à l'américain. Mais qu'attendait-il pour ouvrir la bouche? Demander pardon nécessitait forcément un mouvement buccal.

Ce fut le mouvement buccal de Jeremiah qui, comme une lame fend la mêlée, rompit la tension, ainsi que naïveté de Michael, seulement pour en générer davantage. Michael posa un dixième de secondes un regard blanc sur Grégoire, pour voir si son colocataire avait fait mouche, puis le reporta sur le maladroit américain. D'une voix basse, séparant les syllables, Michael fendit l'air de sa voix et choisit de se défendre plutôt avec sa lame.

-Tu dois me confondre awec ton autre meilleur ami. Oui, celui qui était toujours par-dessus Grégoire. C'était lâche, et il fallait rattraper le coup. Le temps que Michael redéfinisse sa stratégie, Jeremiah troubla de nouveau l'atmosphère.

-Vous ne woulez pas faire d'effort, ni l'un ni l'autre! pesta Michael, plus blessé par ce qu'il venait de réaliser que par les paroles amères, vous vous fichez de moi! Vous rendez-vous compte que tu es mon meilleur ami, et que, se tournant vers Grégoire, tu es... c'est compliqué, songea-t-il Que vous êtes tous les deux aussi importants pour moi? Si vous me demandez à choisir entre vous deux, ou si vous me forcez à le faire, mes walises sont presque terminées, je vous signale. Pourquoi vous n'arrivez pas à vous woir comme je vous woies? Pourquoi...

Alors qu'il haussait à la fois le ton et le débit, s'emportant contre ses deux phares, comme la haute mer se fracasserait à leur pieds, il marqua une pause infime. Ca l'avait frappé comme une gifle au visage. Il n'avait jamais posé la question, celle-là même qui aurait pu tuer le poison dans l'oeuf et leur épargner bien des souffrances. Pourquoi n'y avait-il jamais pensé, c'était pourtant la base! Après son infime pause, comme estomaqué, l'Autrichien reprit d'une voix intrigué et secouée, aussi délicatement que s'il demandait leur nom à des enfants.

-Pourquoi vous vous détestez au fait?

Et malgré l'innocence apparente de la question, quelque chose dans le ton était intransigeant : il était sérieux et s'attendait à une réponse tout aussi sérieuse de ses amis. Et exempte d'enfantillages.

Jeremiah avait décidé d'être encore plus fermé et encore plus bête qu'à son habitude. Quel dommage ! C'était Michael qui trinquait. Grégoire baissa sa main aussi rapidement que l'américain mis à agresser le français. Il plissa les yeux en regardant le jeune homme insinuer que leur seule motivation se trouverait être en dessous la ceinture. Quelle belle mentalité !

Son ton était sans appel: il n'ouvrirait plus jamais la porte au français. Tout ça parce qu'il l'avait mis sur le carreau quelques heures auparavant ? Grégoire avait toujours les yeux sur Jeremiah, se demandant bien comment Michael avait pu s'enticher d'un mec pareil et comment il avait pu le choisir plutôt que le français il y a de ça des années.

La réaction de Michael ne se fit pas attendre. Il rejeta la faute sur les deux garçons. Grégoire détourna les yeux vers lui, l'air étonné. Oui, il avait été loin mais il avait accepté d'aller de l'avant, lui, au moins ! Cette situation ressemblait à quelque chose qu'il avait déjà vécu. Il venait voir Michael, enfin décidé à aller de l'avant avec celui pour qui il frémissait et il se retrouvait à gérer non plus une relation à deux mais une relation à trois. Si c'était vraiment ce qu'il fallait supporter pour partager la vie de Michael, une réflexion s'imposait. Pourtant, c'était Michael qui posait les questions et qui souhaitait savoir dans l'instant pourquoi les deux jeunes hommes ne s'entendaient pas. C'était trop.

"Ecoute, je ne suis pas venu ici pour améliorer ma relation avec lui. Visiblement il n'est pas assez intelligent pour aller de l'avant là où une personne normale pourrait faire un semblant d'effort et dans ce cas-là... Je n'ai plus rien à dire. J'ai pas envie de revivre ça", dit le français en se passant la main derrière la tête. "Je vais t'aider à faire de nouveau ton choix", dit Grégoire en regardant Michael avec les yeux embués. Grégoire n'avait toujours été qu'une option, Jérémiah restait dans sa vie, malgré les déceptions et les changements. Il avait joué et avait perdu.

Grégoire engagea le pas vers la porte d'entrée. Une incroyable scène de déjà-vu ne quittait plus son esprit.

Tant pis pour sa réponse sérieuse et exempte d'enfantillages. Il avait heurté Grégoire, sans trop comprendre comment ni pourquoi, et ne désirait qu'une chose : réparer une bonne fois pour toute les pots cassés. Il lança un regard noir à Jeremiah pour lui signifier que la discussion était suspendue, mais non terminée, et se lança lui-même à la poursuite du Français. Il n'allait pas partir une fois de plus et l'abandonner sans combattre? Il n'allait pas se résigner au premier obstacle, quand même? Il venait de l'embrasser, par tous les diables, il venait de lui redonner un espoir qu'il s'était efforcé d'étouffer depuis le retour de Michael, et maintenant il pensait se débarrasser de l'Autrichien aussi facilement.

Il lui rattrapa la main et le força à rester sur place. Michael contourna Grégoire et une fois qu'il lui bloquait le chemin, il le regarda dans les yeux et déglutit. L'univers des possibles semblait se déballer à l'instant, comme un paquet de billes sous leurs pieds. Timidement, Michael tenta d'aligner le peu de français qu'il avait gardé en mémoire.

-Grégoire, ne pars-t'en pas. Je t'aime. Je ne veux plus seul.

Après tout, il n'avais pas suivi ces cours pour rien.

-Mais je suis fatigué de toujours courir et de dewoir toujours tout recommencer à zéro. Il tut la fin de la phrase : y compris les amitiés.

Grégoire se lançait dans son numéro de drama queen et le geek leva les yeux au ciel, dégoûté par la tournure des événements alors que Michael rentrait dans le jeu du français. En plus, il délirait complètement l’ex psychotique, pourquoi "de nouveau" ?

"Mais qui a parlé de choisir ?" Interrogea-t-il dans le vide, incrédule pendant que l’autrichien poursuivait l’autre dans le couloir.

Chacun se sentait lésé dans cette histoire et lui aussi avait une nette impression de déjà vu. Tiens comme c’est étrange, tout le monde se retrouvait et comme d’habitude, qui restait sur la touche comme un abruti ? Depuis le dernier épisode où s’était arrivé, il avait pris la bonne résolution de ne plus se laisser atteindre par ce genre de chose. Malheureusement, les bonnes intentions n’empêchaient apparemment pas d’être jaloux et surpris par sa propre amertume, il médita un instant sur la possibilité de prendre un chien. Ou un chat. Enfin un être vivant dont il pourrait acheter l’affection exclusive avec un paquet de croquettes. Pas décidé à s’imposer ce spectacle dégoulinant de petits cœurs, Jeremiah quitta son perchoir et alla s’enfoncer dans le canapé derrière le dossier duquel il disparut avec sa tasse, étalé de tout son long à admirer le plafond en baillant ostensiblement.

Michael eut la réaction que Grégoire aurait aimé qu'il ait il y a quelques années: tellement de choses auraient été différentes. Il écouta ce que l'autrichien avait tant de mal à dire. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il entendit son ami parler français ! Certes l'accent n'y était pas, mais l'intention, elle, alla droit au coeur du français. Et alors que Jeremiah quitta les lieux sûrement du au fait que les bons sentiments ne devaient pas faire partie des chose qu'il était capables de supporter, Grégoire sourit et déposa un baiser sur les lèvres de Michaël.

"On n'a perdu assez de temps. Maintenant, je reste là. Avec toi."

Il se retourna vers le salon où s'était engouffré Jeremiah. Il savait qu'il se devait de faire, encore une fois, un effort pour son ami qui souffrait sûrement déjà bien assez d'avoir choisi un meilleur ami aussi sociopathe. Il s'en occuperait bientôt. La moment actuel n'était pas bien choisi et il avait envie de profiter de ses retrouvailles avec l'autrichien.

"Ca ira, on va arranger ça", dit-il en donnant un signe de tête vers Jeremiah et en resserrant l'étreinte de leur deux mains.